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la prairie, qui murmure tout bas au vent du soir, voudrait que mon rêve vînt se mêler au sien pour lui donner je ne sais quelle forme ailée et subtile qui lui permît d’aller plus haut. Les choses semblent souffrir de leur incertitude et envier à la conscience humaine la forme insaisissable de ses songes les plus fugitifs. Mais si l’âme se rend à leur appel, si elle ne les laisse pas à ce vague douloureux et charmant ; si elle réalise, en se substituant à elles, leur aspiration secrète, le charme est aussitôt rompu, et l’univers, si vivant naguère et si animé, paraît immobile et vide, parce que notre âme est seule à le remplir, parce que son essor, arbitrairement aidé par nous, n’a abouti qu’à une imparfaite copie de notre propre conscience. Pour que l’âme puisse s’entretenir avec les choses, il faut que les choses tendent vers l’âme, mais sans y arriver ; il faut que l’âme aille vers les choses, mais sans s’installer en elles ; il faut qu’il y ait entre le monde et nous, avec une impossibilité perpétuelle de se confondre, une perpétuelle tentation de s’unir.


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L’âme et Dieu


Je n’ai jamais bien compris, je l’avoue, la comparaison fameuse dans laquelle Kant rapproche la révolution intellectuelle accomplie par lui de la révolution astronomique accomplie par Copernic ; car Copernic a précipité la terre, jusque là immobile, dans le système mouvant de l’infini. Elle n’est donc intelligible et réelle depuis Copernic que par l’infini et celui