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mets de l’Inde et ces sommets divins de la Grèce d’où la sérénité infinie de l’éther apparaissait aux yeux comme une révélation, et je voudrais que de ces sommets il répandît dans l’infini visible, que les premiers hommes adoraient, sa foi dans l’infini invisible. Il y a au Louvre un tout petit et délicieux tableau de l’école italienne qui nous montre une avenue étroite et mystérieuse du paradis ; il y a dans ce tableau un mélange étonnant de naturel et de divin ; les arbres, les nuages, le ciel, ont leur couleur réelle et vraie : c’est la vie. Et pourtant on dirait qu’une lumière épurée, subtile, idéale, pénètre tout et que sous le demi-jour des feuillages un rayon de Dieu s’est mêlé aux rayons adoucis du soleil. Pourquoi de même, dans l’univers immense, ne verrions-nous pas peu à peu, toutes les puissances de l’homme étant réconciliées avec elles-mêmes, la lumière vraie mais brutale du soleil accueillir dans ses rayons la lumière de l’esprit, amie et fraternelle ? Il ne faut pas que le monde des sens fasse obstacle aux clartés de l’esprit : il ne faut pas que les clartés de l’esprit offusquent le monde des sens : il faut que la clarté du dedans et la clarté du dehors se confondent et se pénètrent, et que l’homme hésitant ne discerne plus dans la réalité nouvelle ce que jadis il appelait, de noms en apparence contraires, l’idéal et le réel. Que le monde sera beau lorsque, en regardant à l’extrémité de la prairie le soleil mourir, l’homme sentira, soudain, à un attendrissement étrange de son cœur et de ses yeux, qu’un reflet de la douce lampe de Jésus est mêlé à la lumière apaisée du soir !


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