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En tout cas, M. Bertillon touche aux limites de l’absurde quand il suppose qu’en prévision d’un danger infiniment improbable et extrêmement réduit, le traître allait se condamner, pour la fabrication du bordereau, à des opérations complexes, longues, difficiles qui créaient pour lui un péril très grave.

C’est pourtant à cette imagination puérile et absurde que M. Bertillon n’a pas craint de donner, dans son graphique, une sorte de certitude matérielle et de précision linéaire. Ce sont ces suppositions inconsistantes et niaises qui ont été comme réalisées par lui en arsenal, en tranchées souterraines, en forgerie, en batterie, en cheminements obscures d’espions ténébreusement conseillés.

Qu’une pareille aberration cérébrale ait pu se produire, cela est de l’humanité ; mais qu’elle ait pu, dans la stupide enquête menée contre Dreyfus, agir sur les décisions suprêmes des accusateurs et du ministre c’est ce qui sera la honte éternelle des coteries militaires, et un scandale de la pensée.

Mais par cette série de calculs enfantins et tortueux, Bertillon substituant sa pensée déréglée à celle du traître, n’avait paré qu’à une des deux hypothèses. Restait l’autre.

Restait le cas où le bordereau ne serait pas pris dans le tiroir ou dans la poche de Dreyfus, mais ailleurs. Dans ce cas, il devenait très dangereux qu’entre l’écriture du bordereau et sa propre écriture il y eût des ressemblances trop marquées.

Il ne lui était plus possible alors de dire : « C’est pour me perdre que mes ennemis ont fabriqué ces ressemblances », puisque le document, n’étant pas trouvé sur lui, ne pouvait le compromettre immédiatement.

Et, au contraire, ces ressemblances d’écritures mettaient sur la trace du coupable et le désignaient.

Ainsi les ressemblances qui, dans la pensée de l’ingénieux Bertillon, devaient servir la défense de Dreyfus au cas où le bordereau eût été pris sur lui devenaient au