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Esterhazy, on peut conjecturer que ces notes n’ont pas une grande valeur.

« Sans nouvelles m’indiquant que vous désirez me voir », dit le bordereau. Ce ne sont pas là les relations d’un attaché militaire et d’un traître de haute marque qui disposerait des plus graves secrets de l’armée française. En tout cas, rien ne permet de savoir si les notes énumérées au bordereau étaient faites sur des documents de valeur ou si elles n’étaient que la fabrique médiocre d’un viveur aux abois, pressé de faire de l’argent et passant à l’étranger les informations telles que ses conversations et ses relations dans le monde militaire lui permettaient de les recueillir.

Cette ignorance, d’ailleurs forcée, des bureaux de la guerre sur la nature et la valeur de ces notes a éclaté, au procès Zola, d’une façon comique.

J’ai cité tout à l’heure l’acte d’accusation qui parle d’une note sur Madagascar rédigée en février 1894, et le rapporteur disait : « Dreyfus a pu la connaître, puisque pendant cinq jours la copie en a traîné dans une antichambre. »

C’est donc bien, remarquez-le, la note de février 1894 que Dreyfus est accusé d’avoir livrée.

Mais, au procès Zola, nos deux grands foudres de guerre et de réaction, le général Gonse et le général de Pellieux, ont oublié ce détail. Ils ont oublié aussi que, selon l’opinion unanime des bureaux de la guerre, le bordereau est d’avril ou mai 1894. Ils oublient encore que puisque le bordereau parle du nouveau projet de manuel de tir et qu’il en donne la date (14 mars 1894), c’est assurément dans les manœuvres qui ont immédiatement suivi, en avril et mai, que le ministère de la guerre en a donné des exemplaires aux officiers.

Or, comme le bordereau dit précisément que les officiers ont en main pour peu de jours ces exemplaires, il est à peu près certain que c’est en avril ou mai que le bordereau a été rédigé. Cela ne gêne pas nos grands guerriers.