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à cette difficulté. il ne semble pas qu’elle ait même effleuré un moment l’esprit de ceux qui menaient l’enquête. Quelle inconscience et quelle frivolité !


II

Mais voici une erreur de méthode plus grave encore et plus redoutable. C’est d’après la nature des documents mentionnés au bordereau que l’accusation prétend déterminer la qualité de l’officier coupable. Comme le dit une phrase déjà citée de l’acte d’accusation, « la nature même des documents permet d’établir que… cet officier devait appartenir à l’artillerie, trois des notes ou documents envoyés concernant cette arme ».

Je ne m’arrête pas à ce qu’il y a de puéril dans la forme du raisonnement. Déterminer la qualité de l’officier, son arme, d’après la majorité des documents livrés, est enfantin.

Sur cinq documents livrés, il y en a trois qui se rapportent à l’artillerie : donc l’officier est un artilleur. Et s’il n’y en avait eu que deux ? Et s’il y en avait eu deux pour l’artillerie, deux pour l’infanterie, qu’aurait-on décidé ? C’est, encore une fois, de l’enfantillage.

Mais ne triomphons pas de ces naïvetés, et examinons en elle-même la méthode générale qui a été suivie. En principe, il semble assez raisonnable de supposer que si les documents livrés se rapportent à l’artillerie, c’est sans doute un officier d’artillerie, plus en état de se les procurer, qui les a fournis. Mais ce ne peut être là une certitude, ce n’est même pas une forte probabilité.

Il est toujours possible en effet qu’un officier d’une autre arme, par ses relations avec des officiers d’artillerie, se soit procuré des documents d’artillerie. Si on prétend donc, par cette méthode, déterminer rigoureusement la qualité de l’officier coupable, on s’expose aux plus pitoyables erreurs.