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ait eu jamais la moindre relation, directe ou indirecte. Et la dernière phrase du bordereau : « Je vais partir en manœuvres », témoigne bien encore qu’il ne peut être de Dreyfus. Car il a été établi d’une manière absolue qu’il n’avait jamais été en manœuvres en 1894, et qu’il n’avait jamais dû y aller.

Il a été démontré au contraire qu’à la date présumée du bordereau en avril ou mal 1894, Esterhazy avait été en manœuvres.

Il l’avait nié d’abord, sentant la gravité de cette charge qui s’ajoutait à beaucoup d’autres ; mais il a dû ensuite l’avouer et la preuve d’ailleurs en a été faite.

Comment a-t-on pu négliger, quand on a attribué le bordereau à Dreyfus, une difficulté aussi grave ? Pour persister à le croire de lui, il fallait supposer que, n’allant pas en manœuvres, il avait écrit : « Je vais partir en manœuvres », afin de dérouter les recherches au cas où le bordereau serait surpris. Mais c’est une hypothèse bien compliquée et bien improbable : il n’est guère vraisemblable que, pour tromper plus tard les juges qui examineraient le bordereau, il ait commencé par tromper son correspondant. Et une pareille méthode d’interprétation est singulièrement dangereuse.

Quand on trouve dans un document une phrase qui ne peut convenir à tel prévenu, il est toujours possible, si on le veut, de dire qu’elle y a été introduite précisément pour égarer la justice ; cette méthode aboutit presque sûrement à condamner des innocents, car elle supprime, a priori et de parti pris, tous les faits, tous les indices qui établissent leur innocence.

Et pourtant, si on ne recourt pas à cette hypothèse si compliquée et à cette méthode si périlleuse, cette simple phrase : « Je vais partir en manœuvres », est une pierre d’achoppement où aurait dû se briser la prévention. Il est impossible de comprendre comment Dreyfus, n’étant pas allé aux manœuvres, aurait terminé ainsi le bordereau. il n’y a pas, dans l’acte d’accusation, la moindre allusion