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LE BORDEREAU

SEULE BASE D’ACCUSATION


Quand Dreyfus a comparu en décembre 1894 devant le Conseil de guerre, l’accusation ne relevait contre lui qu’une charge. Une lettre, non signée, annonçant l’envoi de documents, avait été saisie à l’ambassade d’Allemagne. M. du Paty de Clam, enquêteur, et trois experts sur cinq déclarèrent que l’écriture de cette missive ressemblait à celle de Dreyfus : c’est pour cela et uniquement pour cela qu’il fut traduit en justice.

C’est cette lettre d’envoi, dite bordereau, qui est la seule base légale de l’accusation. Pendant la détention et le procès de Dreyfus, en novembre et décembre 1894, les journaux, surtout la Libre Parole et l’Intransigeant, accumulèrent les histoires les plus extravagantes, les récits les plus mensongers.

Pour les réduire à rien, il suffit de lire l’acte d’accusation du commandant Besson d’Ormescheville devant le Conseil de guerre qui condamna Dreyfus. Un journal l’a publié, et si le texte n’en était point exact, il y a longtemps que des poursuites auraient eu lieu.

Or, ce rapport est d’un vide effrayant. Tous ceux qui l’ont lu ont été vraiment bouleversés. Quoi ! c’est sur un document aussi misérable, aussi vain, qu’un homme a été jugé et condamné !

Des histoires extraordinaires, racontées par les journaux, pas un mot. Une seule charge est relevée contre Dreyfus, une seule : le bordereau.

Avant que ce bordereau ait été saisi à la légation allemande et examiné au ministère de la guerre, avant que le commandant du Paty de Clam ait cru démêler entre