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Gonse, il oublie aussitôt les premiers mots décisifs, ceux qui mettent le ministre en cause, et, pour résumer son argumentation, il s’écrie : « Je déclare que dans ma conscience je ne puis admettre qu’un homme ait prononcé ces mots : « Si j’ai livré des documents… » s’il ne les avait pas livrés en effet. (Vifs applaudissements) »

Mais une fois encore, d’après le texte même que nous apporte M. Cavaignac, il n’a pas prononcé ces mots tout court. C’est l’intervention du ministre, c’est l’opinion du ministre qui domine toute la phrase : Le ministre sait que

M. Cavaignac laisse tomber cela.

Et pourtant, ces mots sont tout ; car ils démontrent que, dans cette partie de sa conversation, Dreyfus faisait allusion à la démarche faite auprès de lui quatre jours auparavant, de la part du ministre, par le commandant du Paty de Clam.

Celui-ci est venu pour obtenir enfin du condamné des aveux : et il a tenté de lui adoucir les aveux pour l’y décider.

Il lui a dit : « Avouez donc ! Après tout il ne s’agit peut-être pas d’une véritable trahison ; peut-être n’aviez vous pas l’intention de nuire ; peut-être avez-vous simplement pratiqué des opérations d’amorçage. Le ministre lui-même est tout disposé à prendre la chose ainsi ; il est porté à croire qu’au fond, vous êtes innocent ; il croit que si vous avez livré des documents c’est pour en obtenir d’autres plus importants. Dites donc la vérité, car on est prêt à l’accueillir, et ainsi vous sauverez du moins votre honneur. »

Que tel ait été le langage tenu à Dreyfus le 31 décembre, quatre jours avant la dégradation, par le commandant du Paty de Clam, cela est certain. La preuve en est dans la lettre écrite, aussitôt après cette visite, par Dreyfus au ministre de la guerre. Je l’ai déjà citée, mais j’en rappelle le début : « Monsieur le ministre, j’ai reçu, par votre ordre, la visite du commandant du Paty de