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Il l’a, par son commentaire même, violemment dénaturé, et, par un parti pris vraiment coupable, il en a laissé échapper l’explication naturelle.

En effet, qu’on veuille bien lire avec soin le propos prêté à Dreyfus, dans la lettre du général Gonse comme dans la feuille détachée du calepin Lebrun-Renaud.

Il faut bien regarder au détail du texte, puisque c’est par une phrase que M. Cavaignac entend condamner Dreyfus.

Que dit celui-ci ? Jamais il ne dit simplement : « Si j’ai livré des documents à l’étranger, c’était pour en avoir d’autres. »

Non, jamais. Et pourtant, s’il avait voulu vraiment avouer, c’est cela qu’il aurait dit.

Il n’aurait pas fait intervenir le ministre ; il n’aurait pas dit : « Le ministre sait que… », car cela était absurde ; le ministre ne le savait pas, et Dreyfus, en parlant ainsi, se fût heurté à un démenti certain.

Pourquoi donc, dans la phrase que lui attribue le capitaine Lebrun-Renaud, Dreyfus fait-il intervenir le ministre ?

Là se trouve la clef du problème, l’explication aisée et évidente des prétendus aveux, et M. Cavaignac n’y a même pas pris garde. Bien mieux, par une sorte de faux assurément involontaire, mais qui atteste le plus étrange aveuglement d’esprit, M. Cavaignac a complètement dénaturé le texte en supprimant l’intervention du ministre.

Le 22 janvier 1898, il dit à la Chambre :

« D’après les déclarations du capitaine Lebrun-Renaud, Dreyfus a laissé échapper une phrase contenant ces mots : « Si j’ai livré des documents, etc… »

Mais non : c’est une mutilation grossière. D’après les textes mêmes qu’apportera plus tard M. Cavaignac, la phrase commence (et cela est capital), par les mots : « Le ministre sait que si j’ai livré des documents… »

Chose étrange : même le 7 juillet, même quand M. Cavaignac a cité le texte exact de la lettre du général