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IV

Mais pourquoi n’est-on pas allé trouver aussitôt Dreyfus lui-même ?

Deux fois le commandant du Paty de Clam a essayé en vain de lui surprendre ou de lui arracher un aveu.

Quatre jours encore avant la dégradation, il est allé le trouver de la part du ministre ; il a essayé précisément de lui faire dire qu’il s’était livré au moins à des opérations d’amorçage, et Dreyfus a énergiquement protesté.

Rien, pas une faute, pas même une imprudence.

Cette protestation d’innocence complète, il l’adresse au ministre dans une lettre que j’ai citée.

Et quand M. du Paty de Clam apprend que Dreyfus aurait avoué au capitaine Lebrun-Renaud ces pratiques d’amorçage, il ne va pas le trouver dans sa prison ! Il ne va pas lui dire : « À la bonne heure ! Vous avez fini par suivre mon conseil ! Vous avez fini par avouer ! »

Non : on se garde bien de parler à Dreyfus du propos rapporté par le capitaine Lebrun-Renaud ; on sait bien qu’il protestera à nouveau.

On a peur qu’il dise : « Le capitaine Lebrun-Renaud se trompe : il a mal entendu ou mal compris une phrase de moi. »

Et aussi, après avoir négligé de demander au capitaine Lebrun-Renaud, sur cette question pourtant si grave, un rapport signé et écrit, on s’abstient de tirer parti contre Dreyfus de cette prétendue défaillance. On ne lui dit pas : « Puisque vous avez avoué au capitaine Lebrun-Renaud il est inutile de prolonger vos dénégations ; allez jusqu’au bout dans la voie où vous être entré, et pour mériter un peu la pitié et le pardon de la France donnez-nous décidément le secret de vos imprudences. »

Non, on s’en tient aux vagues propos du capitaine, de peur de faire évanouir, en la regardant de plus près, l’ombre d’aveu qu’on veut y voir.