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C’est faux : il n’a pas avoué, pas plus au capitaine Lebrun-Renaud qu’à tout autre. Il a affirmé son innocence au capitaine Lebrun-Renaud comme au reste du monde.

Et d’abord, par quel prodige, par quelle contradiction inexplicable, l’homme qui depuis six semaines affirmait son innocence, et qui allait, le jour même de la dégradation, la crier à l’univers, oui, par quel prodige cet homme aurait-il fait des aveux, avant d’aller à la parade, au capitaine Lebrun-Renaud ?

Comment, s’il venait, dans le pavillon de l’École militaire, de s’avouer coupable à un officier, comment a-t-il pu avoir la force de se redresser aussitôt et de jeter à la France qui le maudit son cri d’innocence, son indomptable appel ? Après la défaillance d’un premier aveu, toute énergie en lui eût été morte ; or, l’énergie surhumaine de sa protestation a stupéfié la foule et bouleversé les consciences.

Qu’on y veuille penser. Où donc un homme condamné pour un pareil crime et soumis à l’infamie d’un pareil supplice peut-il trouver la force nécessaire pour porter la tête haute et d’une voix ferme crier au monde : Je suis innocent ?

S’il est innocent, en effet, c’est dans sa conscience indomptée, c’est dans la révolte de son honneur qu’il trouvera cette force, et on comprend alors que Dreyfus ait pu opposer son front au vent de tempête, tout chargé de malédictions, qui passait sur lui. On comprend aussi que, se retrouvant seul, dans la solitude de sa prison, l’esprit brisé et les vêtements en loques, il ait pu encore, soutenu par sa force d’innocence, envoyer à son avocat, à sa femme, les paroles héroïques de l’honnête homme sacrifié.

Et s’il est coupable au contraire, s’il a pu, malgré le sentiment interne de sa trahison, jouer ce personnage prodigieux, si, après la comédie d’innocence, presque surhumaine, dans la parade d’exécution, il a pu continuer