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martyriser pendant de longues semaines pour arriver à la découverte de la vérité, à la réhabilitation de mon nom.

Hélas ! quand tout sera-t-il fini ? Quand serai-je de nouveau heureux ?

Enfin, je compte sur vous, cher maître. Je tremble encore au souvenir de tout ce que j’ai enduré aujourd’hui, à toutes les souffrances qui m’attendent encore.

Soutenez-moi, cher maître, de votre parole chaude et éloquente ; faites que ce martyre ait une fin, qu’on m’envoie le plus vite possible là-bas, où j’attendrai patiemment, en compagnie de ma femme (elle n’a pas été autorisée à le rejoindre), que l’on fasse la lumière sur cette lugubre affaire et qu’on me rende mon honneur.

Pour le moment, c’est la seule grâce que je sollicite. Si l’on a des doutes, si l’on croit à mon innocence, je ne demande qu’une chose pour le moment c’est de l’air, c’est la société de ma femme, et alors j’attendrai que tous ceux qui m’aiment aient déchiffré cette lugubre affaire. Mais qu’on fasse le plus vite possible, car je commence à être à bout de résistance. C’est vraiment trop tragique, trop cruel, d’être innocent et d’être condamné pour un crime aussi épouvantable.

Pardon de ce style décousu, je n’ai pas encore les idées à moi, je suis profondément abattu, physiquement et moralement. Mon cœur a trop saigné aujourd’hui.

Pour Dieu donc, cher maître, qu’on abrège mon supplice immérité.

Pendant ce temps, vous chercherez et, j’en ai la conviction profonde, vous trouverez.

Croyez-moi toujours votre dévoué et malheureux

A. Dreyfus


Et le même jour, voici ce qu’il écrit à sa femme :


Prison de la Santé, samedi 5 janvier 1895.

Ma chérie,

Te dire ce que j’ai souffert aujourd’hui, je ne le veux pas ton chagrin est déjà assez grand pour que je ne vienne pas encore l’augmenter. En te promettant de vivre, en te promettant de résister jusqu’à la réhabilitation de mon nom, je t’ai fait le plus grand sacrifice qu’un homme de cœur, qu’un