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l’authenticité et le sens, et j’ose dire qu’il est aisé d’en démontrer le néant.

Mais je me tiens, pour un moment encore, à ce qui est incontesté. De même que j’ai cité seulement des fragments du procès-verbal authentique des interrogatoires, et des lettres de Dreyfus lui-même, je relève d’abord le jour de la dégradation ce qui a été public, ce qui a éclaté à tous les yeux.

Or, ce qui a frappé tous les spectateurs, ce qui a troublé beaucoup d’entre eux, ce qui a jeté en plus d’une conscience le germe du doute, c’est le cri d’innocence, que, dans son horrible supplice, poussait sans cesse le condamné.

Voici, entre bien des récits, tous semblables au fond, celui de l’Autorité, que Me Labori a lu devant la cour d’assises. Si long qu’il soit, je dois le citer en entier, car il faut que ces détails tragiques repassent devant nous. Pour que nous sentions bien toute la valeur du cri d’innocence que poussait le supplicié, il faut que nous sachions dans quelle tempête de haine et de mépris ce cri était jeté.

Le premier coup de neuf heures sonne à l’horloge de l’École.

Le général Darras lève son épée et jette le commandement, aussitôt répété sur le front de chaque compagnie :

― Portez armes !

Les troupes exécutent le mouvement.

Un silence absolu lui succède.

Les cœurs cessent de battre et tous les yeux se portent dans l’angle droit de la place où Dreyfus a été enfermé dans un petit bâtiment à terrasse.

Un petit groupe apparaît bientôt : c’est Alfred Dreyfus, encadré par quatre artilleurs, accompagné par un lieutenant de la garde républicaine, et le plus ancien sous-officier de l’escorte, qui approche. Entre les dolmans sombres des artilleurs, on voit se détacher très net l’or des trois galons en trèfle, l’or des bandeaux du képi : l’épée brille et l’on distingue de loin la dragonne noire tenant à la poignée de l’épée.

Dreyfus marche d’un pas assuré.

― Regardez-donc comme il se tient droit, la canaille ! dit-on.