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Je marcherai à ce supplice épouvantable, pire que la mort, la tête haute, sans rougir. Vous dire que mon cœur ne sera pas affreusement torturé quand on m’arrachera les insignes de l’honneur que j’ai acquis à la sueur de mon front, ce serait mentir.

J’aurais, certes, mille fois préféré la mort. Mais vous m’avez indiqué mon devoir, cher maître, et je ne puis m’y soustraire, quelles que soient les tortures qui m’attendent. Vous m’avez inculqué l’espoir, vous m’avez pénétré de ce sentiment qu’un innocent ne peut rester éternellement condamné, vous m’avez donné la foi. Merci encore, cher maître, de tout ce que vous avez fait pour un innocent.

Demain, je serai transféré à la Santé. Mon bonheur serait grand si vous pouviez m’y apporter la consolation de votre parole chaude et éloquente et ranimer mon cœur brisé. Je compte toujours sur vous, sur toute ma famille pour déchiffrer cet épouvantable mystère.

Partout où j’irai, votre souvenir me suivra, ce sera l’étoile d’où j’attendrai tout mon bonheur, c’est-à-dire ma réhabilitation pleine et entière.

Agréez, cher maître, l’expression de ma respectueuse sympathie.

A. Dreyfus

LE JOUR DE LA DÉGRADATION

I

Et voici maintenant le jour de la dégradation. Je laisse de côté, pour un instant, la phrase que Dreyfus aurait dite au capitaine Lebrun-Renaud, seul à seul, dans le pavillon de l’École militaire une demi-heure avant la parade d’exécution. Cette phrase, suprême refuge de M. Cavaignac. de M. Rochefort et de l’État-Major, je la discuterai en détail, tout à l’heure ; j’en examinerai