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à d’humiliants calculs de fausse prudence internationale les garanties légales qu’elle a instituées pour tous ses enfants, et ses devoirs de nation civilisée.

Par ces paroles, M. Cavaignac démontrait, sans le vouloir probablement, que l’illégalité monstrueuse commise contre Dreyfus était doublement criminelle, car, en même temps qu’elle est une violation du droit individuel, elle est, au point de vue national, humiliante et inutile.

Inutile ? elle l’est si évidemment que M. Cavaignac a pu, sans danger, sans inconvénient aucun, lire à la tribune de la Chambre, devant le pays, devant l’Europe, devant le monde entier, les deux pièces que, d’après nos grands patriotes, on ne pouvait pas montrer à l’accusé Dreyfus.

Ainsi, aujourd’hui, en vertu d’une communication publique, officielle, du gouvernement français, toutes les puissances étrangères connaissent les pièces sur lesquelles Dreyfus a été jugé. L’Allemagne les connaît, l’Italie les connaît, le monde entier les connaît.

Seul, l’accusé Dreyfus ne les connaît pas.

Je ne crois pas que dans l’histoire des crimes judiciaires il y ait eu jamais un paradoxe aussi violent.

Le huis clos, dans les procès, a pour but de montrer à l’accusé certaines pièces en les cachant au reste du monde. Les bureaux de la guerre ont conduit si étrangement le procès Dreyfus qu’enfin les pièces du jugement ont été cachées à l’accusé seul et montrées au reste du monde.

C’est un renversement scandaleux non seulement de toute justice, mais de toute raison. C’est un défi au bon sens aussi bien qu’à la conscience.

Peut être, après tout, le peuple de France, si facile aux entraînements chauvins, avait-il besoin de cet exemple et de cette leçon pour savoir où conduit le patriotisme professionnel de certains agités. Quand il a fallu étrangler Dreyfus, quand il a fallu accabler ceux qui pour lui réclamaient la loi commune et la justice, nos grands