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ignorer à l’accusé les pièces sur lesquelles on le juge, c’est une intolérable contradiction.

D’ailleurs, si ce scrupule était sérieux, pourquoi a-t-on montré à Dreyfus et à son avocat le bordereau ? Les deux pièces « secrètes » sont la photographie d’une correspondance entre l’attaché militaire italien et l’attaché militaire allemand. Le bordereau est une lettre d’envoi dérobée à la légation militaire allemande. Au point de vue des relations internationales, la saisie du bordereau, au domicile même de la légation, était bien plus grave que la saisie momentanée d’une correspondance photographiée au passage. Et cela n’empêchait pas tous les journaux acharnés contre Dreyfus, au moment du procès, de parler librement du bordereau et des conditions dans lesquelles il avait été saisi. Cela n’empêchait pas les bureaux de la guerre de verser le bordereau au procès légal et de le communiquer régulièrement à l’accusé et à son défenseur comme aux juges.

Par quelle incohérence, par quel désordre d’esprit peut-on soutenir qu’il était possible, sans compromettre la paix internationale, de soumettre le bordereau à l’accusé et qu’il n’était pas possible de lui soumettre les lettres des attachés ? Ce sont là, manifestement, des raisons trouvées après coup.

II

Aussi bien, depuis le discours de M. Cavaignac à la séance du 7 juillet, il faut renoncer à ces misérables prétextes. M. Cavaignac, ministre de la guerre, a déclaré, aux applaudissements de toute la Chambre : « Nous sommes maîtres de traiter nos affaires chez nous comme nous l’entendons. »

À la bonne heure, et j’applaudis aussi. Mais cela signifie que nous avions le droit et le devoir de conduire le procès Dreyfus selon les formes de la loi française. Cela signifie que jamais la France n’a été obligée de sacrifier