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Puis, quand cette cérémonie patriotique eut préparé Rochefort, par une sorte d’attendrissement, à recevoir toutes les empreintes, on lui fit passer l’histoire de la lettre de Guillaume, et avec une discipline toute militaire il la communiqua à ses lecteurs.

Le tour de l’État-Major était joué. Ce qu’il n’osait faire ouvertement lui-même, par ses Gonse et ses Pellieux, il le faisait faire par Rochefort. C’était tout bénéfice. Si l’histoire prenait, la haute armée bénéficiait du trouble des esprits. Si elle ne prenait pas, la charge en restait à Rochefort et cela ne tirait pas à conséquence.

Ces vieux troupiers, bien qu’ils ne soient pas malins, ont joué du pamphlétaire comme un chat joue d’un peloton de fil très embrouillé.


V

Très bien, et la responsabilité de Rochefort, dans l’invention criminelle de la lettre, est très diminuée : mais celle de l’État-Major devient terrible.

En effet, il ne peut nier ses relations avec Rochefort, puisqu’il lui a envoyé, d’ordre de Boideffre, Pauffin de Saint-Morel.

C’est donc l’État-Major qui a soufflé à notre pauvre Géronte, l’histoire de la lettre de Guillaume.

Mais, ou bien l’État-Major n’a pas cette lettre et il a commis le plus criminel mensonge. Ou bien il a en effet une lettre de Guillaume et que penser alors de l’imbécillité de nos chefs s’ils ont pris au sérieux un faux aussi monstrueusement inepte ?

L’État-Major a le choix entre une incomparable scélératesse et une insondable niaiserie.

Pour moi, je l’avoue, j’incline à croire que nos chefs et nos sous-chefs ont eu, en effet, en main une lettre de Guillaume, fabriquée par un faussaire assez avisé pour se dire que l’État-Major accepterait tout.