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qu’elle a peu à peu conquises par le long effort des siècles et la longue suite des Révolutions.

Or parmi ces lois, celle qui ne permet pas de condamner un homme, quel qu’il soit, sans discuter avec lui est la plus essentielle peut être. Au contraire des nationalistes qui veulent garder de la légalité bourgeoise tout ce qui protège le Capital, et livrer aux généraux tout ce qui protège l’homme, nous, socialistes révolutionnaires, nous voulons, dans la légalité d’aujourd’hui, abolir la portion capitaliste et sauver la portion humaine. Nous défendons les garanties légales contre les juges galonnés qui les brisent, comme nous défendrions au besoin la légalité républicaine contre des généraux de coup d’État.

Oh ! je sais bien encore et ici ce sont des amis qui parlent : « Il ne s’agit pas, disent-ils, d’un prolétaire ; laissons les bourgeois s’occuper des bourgeois. » Et l’un d’eux ajoutait cette phrase qui, je l’avoue, m’a peiné : « S’il s’agissait d’un ouvrier, il y a longtemps qu’on ne s’en occuperait plus. »

Je pourrais répondre que si Dreyfus a été illégalement condamné et si, en effet, comme je le démontrerai bientôt, il est innocent, il n’est plus ni un officier ni un bourgeois : Il est dépouillé, par l’excès même du malheur, de tout caractère de classe ; il n’est plus que l’humanité elle même, au plus haut degré de misère et de désespoir qui se puisse imaginer.

Si on l’a condamné contre toute loi, Si on l’a condamné à faux, quelle dérision de le compter encore parmi les privilégiés ! Non : il n’est plus de cette armée qui, par une erreur criminelle, l’a dégradé. Il n’est plus de ces classes dirigeantes qui par poltronnerie d’ambition hésitent à rétablir pour lui la légalité et la vérité. Il est seulement un exemplaire de l’humaine souffrance en ce qu’elle a de plus poignant. Il est le témoin vivant du mensonge militaire, de la lâcheté politique, des crimes de l’autorité.

Certes, nous pouvons, sans contredire nos principes