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d’accusation, que ce n’est pas le bordereau même qu’on lui a dicté ; l’esprit tortueux de M. du Paty de Clam a faussé encore, par une combinaison à côté, une expérience déjà très incertaine.

Si on eût dicté à Dreyfus le texte du bordereau, l’acte d’accusation le dirait sans doute formellement, et il ne dirait pas qu’il a fallu un certain temps à Dreyfus pour s’apercevoir de l’objet de la lettre ; c’est tout de suite qu’il l’aurait vu.

Mais si on ne lui a pas dicté le texte même du bordereau, que signifie l’épreuve ?

Quoi ! il suffira au traître, pour se sentir perdu et pour trembler, de voir qu’on parle ou qu’on écrit des sujets mentionnés dans le bordereau ? Mais il ne pouvait supposer, j’imagine, qu’à partir de l’envoi de son bordereau on cessât de parler au ministère de la guerre de la mobilisation, des troupes de couverture et des expériences d’artillerie.

Comment donc, aussitôt que dans une lettre qui n’est pas le bordereau on lui dicte un mot qui a rapport à ces sujets, peut-il de mettre à trembler ?

Il tremble, dit l’acte d’accusation, dès la quatrième ligne, c’est-à-dire à la première mention qui est faite d’une des questions mentionnées au bordereau.

Or, depuis que le bordereau a été envoyé, depuis six mois, il a dû être fait mention devant lui cent et mille fois, soit de vive voix et en conversation, soit dans des rapports et des notes de service, des objets indiqués au bordereau. Pourquoi donc tremblerait-il, ce jour-là, au moindre énoncé de l’un d’entre eux ?

Encore une fois, par quelle bizarrerie, par quel goût suspect du compliqué, du détourné et de l’étrange, ne l’a-t-on pas éprouvé brutalement par la dictée du bordereau lui-même ? Puisqu’on l’a arrêté et mis au secret tout de suite après cette scène de la dictée, il n’y avait aucun inconvénient à lui donner toute la précision possible.