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VIII

Du Paty n’était pas un comparse au procès Dreyfus : c’est lui qui a mis en mouvement les poursuites. C’est lui, d’accord avec Bertillon, qui a imaginé que Dreyfus avait fabriqué le bordereau avec un mélange d’écritures variées ; c’est lui qui a torturé le capitaine pour lui arracher des semblants d’aveux que toujours il refusa.

C’est lui enfin qui a machiné la scène de la dictée où l’on retrouve toute la fausseté d’esprit et de conscience, toute la complication niaise et mélodramatique qui éclate dans le roman de la Dame voilée.

Le même fou qui a conspiré avec Esterhazy, dans le nocturne décor des vespasiennes et sous le voile mystérieux de la femme inconnue, a organisé contre Dreyfus cette épreuve judiciaire de la dictée, qui décida de l’arrestation.

Il avait imaginé de dicter à Dreyfus le bordereau pour voir s’il se troublerait. De pareilles expériences sont toujours délicates.

Essayer de surprendre sur la physionomie d’un homme les signes d’une émotion secrète est très hasardeux. Il est toujours à craindre que l’observateur, qui ne fait cette expérience que quand il a déjà des soupçons, ne ramène à son idée préconçue les signes les plus indifférents.

En tout cas, cette méthode, toujours incertaine, ne vaut que ce que vaut l’homme qui la pratique.

Et quand on sait que le commandant du Paty de Clam avait une imagination de Ponson du Terrail, quand on sait qu’au lieu de se réserver tout entier pour l’observation directe de Dreyfus, il avait disposé des miroirs sur toutes les faces du cabinet pour surprendre les attitudes ou les mouvements que lui déroberait l’homme soupçonné, quand on sait qu’il s’introduisait de nuit dans la chambre de prison où dormait Dreyfus et qu’il voulait lui porter brusquement une lanterne au visage pour saisir