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Il n’y a qu’un malheur : c’est que toutes ces affaires Henry et du Paty ne sont pas des excroissances du procès Dreyfus, elles en sont le cœur et le centre.

Quand un homme a été condamné par l’action de deux hommes, l’un juge d’instruction, l’autre premier témoin, et que l’indignité de ces deux hommes est démontrée, le procès est atteint dans ses œuvres vives. Le procès est mort avec Henry ; il est déshonoré avec du Paty.

La tactique désespérée des nationalistes ne trompe plus personne ; et c’est en vain qu’ils l’appliquent aux documents comme aux hommes.

Ils avaient invoqué le bordereau : le bordereau croule, puisqu’il est d’Esterhazy. Ils s’écrient : À la bonne heure ; les autres pièces ne sont que plus fortes.

Les pièces avec l’initiale D cessent de porter, car la preuve est faite qu’elles ne peuvent s’appliquer à Dreyfus. Ils s’écrient : Très bien ; mais la lettre des attachés où Dreyfus est nommé en toutes lettres est irrésistible.

On démontre que c’est un faux. Qu’à cela ne tienne, s’écrient-ils ; la fausseté constatée de cette pièce ajoute encore à l’authenticité des autres, et il y a le dossier ultra secret qui est inexpugnable ; il y a, tremblez donc, la correspondance de Guillaume II et de Dreyfus. Au bout de quelques jours cette correspondance croule à jamais sous le ridicule, et ils n’osent plus en parler. Victoire, clament-ils, en avant ! Il y a les rapports des espions berlinois, et quand la preuve sera faite de leur fausseté et de leurs inepties, ils triompheront encore.

La culpabilité de Dreyfus est pour eux comme une essence immatérielle et immortelle qui survit à la ruine morale de tous les témoins et au discrédit de toutes les preuves.

Elle existe en soi et par soi, c’est une entité indestructible… Oui, mais le pays se dit que lorsqu’il n’y a contre un homme que des témoins flétris et des pièces fausses, c’est que cet homme est innocent.