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cour d’assises, au procès Zola, cette pièce ne pouvait pas aider Esterhazy dans sa défense. Il était accusé d’avoir écrit le bordereau. La possession de la pièce : « Ce canaille de D… » ne l’aidait pas à démontrer qu’il n’était pas l’auteur du bordereau. Et je disais : « L’État-Major, en lui passant ce document, a voulu dire à Esterhazy : Nous sommes avec vous : ne perdez pas courage, n’avouez pas. »

L’explication était vraie dans l’ensemble, puisque nous savons maintenant que du Paty avait des relations constantes avec Esterhazy.

Mais elle n’était pas assez précise. En effet, si du Paty de Clam avait voulu seulement assurer Esterhazy du concours de l’État-Major, il n’avait pas besoin de lui mettre en main une pièce du dossier qui ne pouvait pas servir directement à sa défense.

Non, par cette manœuvre, l’État-Major a voulu autre chose. Il a voulu faire peur au général Billot. Il a voulu lui signifier qu’Esterhazy avait en main la pièce dont le général Mercier avait fait un usage illégal et criminel.

Cela disait à Billot : Ne touchez pas à Esterhazy, car il est armé d’un secret redoutable ; il peut provoquer un grand scandale qui atteindra un ancien ministre et ébranlera toute la haute armée.

C’est pour cela qu’Esterhazy a reçu de du Paty cette pièce compromettante et qu’il l’a remise au ministre. C’est un chantage exercé par l’État-Major sur le général Billot et celui-ci peut être fier de la façon dont les bureaux de la guerre l’ont traité.

En octobre 1896, ils fabriquent un faux pour le lancer contre Dreyfus dans l’interpellation Castelin ; et en novembre 1897, ils lui ont fait peur du scandale pour qu’il fasse acquitter Esterhazy.

C’est entre le faux et le chantage, comme entre les deux branches d’un étau, que le général Billot a été pressé et façonné par l’État-Major.