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Ce dernier trait est admirable. Que dirait Esterhazy, si nous le prenions au mot ?


IV

Mais vit-on jamais mystification pareille et vaudeville aussi grossier ?

Et quelle humiliation pour les juges d’être obligés d’accepter ou de paraître accepter une fable aussi absurde !

On devine bien, dans les paroles du président, le général de Luxer, une sourde révolte de bon sens et de conscience. Il sent bien qu’on se joue de lui, mais il n’ose pousser à fond. Il sait qu’Esterhazy est intangible.

Pourtant, les juges du Conseil de guerre, s’ils n’avaient pas consenti à être dupes de cette comédie, avaient un moyen bien simple de savoir la vérité.

Une pièce secrète du ministère de la guerre avait été remise à Esterhazy. Ils n’avaient qu’à demander : « Comment cette pièce a-t-elle pu sortir des tiroirs du ministère ? Comment une photographie a-t-elle pu en être livrée à Esterhazy ? »

Les officiers qui gardaient les dossiers n’étaient pas bien nombreux : l’enquête aurait abouti bien vite. La preuve c’est qu’en quelques jours le général Zurlinden a su que la Dame voilée c’était du Paty de Clam.

Mais si on avait fait sérieusement cette enquête, on aurait constaté publiquement la complicité de l’État-Major avec le traître Esterhazy.

Et les hommes de bon sens se seraient dit : Puisque du Paty de Clam, qui a été l’officier de police judiciaire dans l’affaire Dreyfus, qui a conduit et machiné tout le procès, est obligé maintenant de recourir aux manœuvres les plus suspectes pour sauver Esterhazy, accusé d’avoir commis la trahison imputée à Dreyfus, c’est qu’il n’y a pas contre Dreyfus de charges sérieuses.

Ils se seraient dit aussi : Puisque du Paty de Clam est