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sorte de brute héroïque se jetant au crime pour sauver ses chefs comme un bon gros chien se jette à l’eau pour sauver son maître ?

Il se peut qu’il y ait eu en lui une sorte de dévouement grossier, savamment exploité par l’habileté perverse des généraux. Mais il y avait aussi, certainement, de bas et tristes calculs.

Il savait que par ce faux, par ce crime, il hâtait son avancement. Et sans doute, cette obsession de l’avancement rapide l’a conduit au crime deux fois.

Qu’on se rappelle d’abord qu’au moment du procès Dreyfus, le colonel Sandherr, chef du service des renseignements, était déjà atteint de paralysie cérébrale : l’ouverture de sa succession était proche.

Et à ce moment Henry et du Paty se sont dit que s’ils menaient à bien le splendide procès Dreyfus, s’ils faisaient, par n’importe quel moyen, condamner le juif, s’ils devenaient ainsi les favoris de la Libre Parole, de l’Intransigeant et des sacristies, ils surgissaient d’emblée comme des personnages de premier ordre, l’avenir était à eux. À eux la faveur de la réaction et la succession prochaine du colonel Sandherr ; à eux la marche triomphale vers les hauts grades.

Grande déception quand le colonel Picquart est nommé, quand il se met lui-même à l’étude des documents et des dossiers, quand il découvre l’innocence de Dreyfus. Quoi ! le crime que du Paty et Henry avaient machiné pour leur avancement allait donc se tourner contre eux !

Du coup, ils vouèrent au colonel Picquart une haine implacable, et comme ils avaient été capables de tout contre Dreyfus pour se hausser, ils furent capables de tout contre Picquart pour se sauver et, s’il était possible encore, pour se pousser.

Aussi, le colonel Henry, en octobre 1896, n’hésite pas à fabriquer les pièces fausses. Il en espère un double avantage.

D’abord, en consolidant la condamnation de Dreyfus,