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Jamais le colonel Henry n’aurait pu introduire cette série de lettres fausses dans les bureaux de la guerre et les glisser au dossier Dreyfus sans la complaisance des généraux.

Quoi ! le général Gonse, le général de Boisdeffre voient arriver presque tous les jours au ministère la correspondance de M. Panizzardi et de M. de Schwarzkoppen : les lettres saisies forment une chaîne continue ! Il n’y manque pas un anneau ! Et cette correspondance liée que nos agents captent tout entière, porte sur les sujets les plus graves, les plus délicats ! Elle vient à point pour fournir des armes contre le colonel Picquart, contre Dreyfus, contre la vérité !

Et les généraux n’ont aucun doute ! Ils ne posent au colonel Henry aucune question ! Ils ne lui demandent pas comment, par quel miracle d’espionnage, il peut se procurer ainsi, au moment opportun, toute la correspondance des attachés étrangers, les lettres, les réponses, les répliques aux réponses !

Non, pas une question, pas une curiosité ; ils laissent les papiers faux entrer d’une aile silencieuse dans les bureaux de la rue Saint-Dominique, et se blottir doucement au tiède abri des dossiers !

Ou c’est une imbécillité surhumaine ou c’est une complicité.

Évidemment, le général Gonse, le général de Boisdeffre, s’étaient dit : « Henry est un gaillard qui nous sert bien ; ne le gênons pas en regardant de trop près : si nous examinons les papiers, ou bien nous les écarterons comme faux et nous serons désarmés, ou bien nous les accepteront malgré leur caractère frauduleux, et nous assumerons une responsabilité directe, nous serons immédiatement les complices du faussaire. Nous laisserons traîner notre manteau dans cette besogne salissante. Mieux vaut nous enfermer dans la hautaine décence des complaisance aveugles, et puisque le brave Henry prend sur lui l’ignominie du faux, profitons-en les yeux fermés. Ainsi