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Cette pièce d’Henry, il y a des mois que la fausseté misérable en était dénoncée par tous les hommes qui réfléchissent.

Or, non seulement M. Cavaignac en a gravement affirmé à la Chambre l’authenticité, mais il a dit que, par prudence patriotique, il ne pouvait la lire tout entière. « Ici, dit-il, un passage que je ne puis pas lire. »

De même il a déclaré que la troisième lettre, qui est également un faux, était si grave, si précise, qu’il n’en pouvait lire un seul mot.

Et toutes ces précautions de prudence internationale, tous ces mystères de patriotisme, à propos de quoi ? À propos de pièces ridiculeusement fausses.

Voilà à quelle sottise descendent les militaristes. M. Cavaignac se piquait de n’avoir pas les timidités du ministère Méline. Il voulait faire la lumière ; il apportait à la Chambre des pièces décisives ; il lui montrait le chef-d’œuvre imbécile du faussaire Henry, mais au moment d’écarter le voile qui couvrait la statue, sa main de patriote, si ferme pourtant, tremblait un peu.

Pour ne pas offusquer et blesser l’étranger, il laissait sur un coin de la statue un lambeau du voile ; il cachait au monde, de peur de le bouleverser, quelques mots de la pièce fausse.

Pauvre dupe orgueilleuse et niaise !

Pendant que le faussaire Henry, sous la lampe fidèle et familière du lampiste Gribelin, fabriquait la pièce fausse, il ne se doutait guère de la fortune diverse qui attendait les quelques mots imbéciles péniblement décalqués et assemblés par lui.

Les uns devaient éclater à la tribune, dans la lumière et le retentissement de la foudre, pour accabler Dreyfus ; les autres, moins heureux, devaient rester dans l’ombre, par égard pour la paix du monde qu’ils auraient bouleversée. Ô comédie !

Et qu’on retienne bien ceci. Si Henry n’avait pas