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décidément le colonel Picquart au moment où il est appelé en témoignage dans l’enquête sur Esterhazy.

L’histoire s’étonnera plus tard de cette continuité impunie dans le crime. Elle s’étonnera que cet enchaînement d’actes criminels ait pu se développer, que cet engrenage de crimes ait pu fonctionner dans une société qui ose se dire humaine.

Pour maintenir quand même une condamnation injuste et abominable, toute une besogne de faussaire se déroule. C’est le crime au service du crime.

Et tantôt, comme pour la fausse lettre de l’attaché militaire, si inepte pourtant, les pouvoirs publics sont dupes, ou affectent d’être dupes. Tantôt, comme pour la fausse lettre Speranza, et les faux télégrammes Speranza et Blanche, ils sont bien obligés eux-mêmes de reconnaître qu’il y a faux.

Mais toujours ils assurent aux faussaires la même impunité. Toujours ils évitent de regarder jusqu’au fond de cet abîme de peur d’y trouver la vérité, et qu’elle soit terrible.

Mais tôt ou tard, que les criminels de tout ordre, traîtres, faussaires, complices des traîtres et des faussaires, que tous, d’Esterhazy aux généraux, et des généraux aux ministres, soient bien avertis, tôt ou tard du fond de l’abîme la vérité monte, meurtrie, gémissante, blessée, mais victorieuse enfin et implacable.

Et comme pour épuiser toutes les variétés du faux, voici que du Paty de Clam et Esterhazy, après avoir fabriqué de faux papiers, vont fabriquer de fausses personnes : la « Dame voilée » est une sorte de faux vivant et en action, où l’impudence des faussaires atteint au plus haut degré.