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égaler enfin sur l’esprit des hommes le seul effet du drame et de sa marche logique ? L’innocent condamné au plus atroce supplice par la rencontre terrible des passions du dehors et des combinaisons des bureaux de la guerre ; puis, quand la vérité apparaît, la haute armée se refusant à reconnaître l’erreur et conduite ainsi, pour supprimer la révolte du vrai, à ajouter les pièces fausses aux pièces fausses et à continuer sans fin le mensonge par le mensonge, dans l’intérêt de la trahison impunie.

Bourrat peut déposer contre nous des vœux : il n’arrachera pas de l’histoire le crime qui s’y développe avec une logique implacable et une sorte de force organique. Ce crime est d’une belle vitalité, je l’avoue, et d’une belle poussée ; et ceux qui entrent à son service peuvent se promettre sans doute quelques années triomphantes. Il approprie et façonne à sa loi toutes les forces du pays, les conseils de guerre, la haute armée, la magistrature civile, les ministères modérés, les ministères radicaux, la presse, l’opinion, le suffrage universel et Bourrat lui-même.

Mais, malgré tous ces appuis, le monstrueux système de trahison et de mensonge croulera bien un jour et la France réveillée demandera sans doute des comptes aux adorateurs d’Esterhazy qui veulent aujourd’hui exterminer à son profit tous les hommes libres.

En attendant, acte est donné à Bourrat de sa requête aux pouvoirs publics pour nous faire interner ou déporter.


IV

Donc la lettre fausse du 15 décembre est soigneusement gardée dans un tiroir du ministère pour éclater au jour propice contre le colonel Picquart. Elle est contre lui une première amorce à laquelle, quand il le faudra, d’autre faux viendront se rattacher.

Mais pendant près d’un an l’affaire Dreyfus semble