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Non, on retient l’original, et on laisse ignorer au colonel Picquart que cette lettre lui a été adressée. Il ne la connaîtra qu’un an plus tard, entre les mains du général de Pellieux. Pourquoi ?

Parce que s’il recevait cette lettre fausse, il s’inquiéterait, il devinerait le piège : il demanderait une enquête immédiate ; il vaut mieux tisser à coup sûr, dans un coin obscur des bureaux de la guerre, la toile de mensonge ; et plus tard, quand on le croira sans défense, on le prendra.

En gardant cette lettre, les bureaux de la guerre attestent qu’ils la savaient fausse. À aucun degré ils n’ont été dupes. C’est dans un mensonge parfaitement délibéré qu’ils se réservent, à l’heure propice, de faire tomber le colonel Picquart.

III

Et l’on nous demande de garder, en face de ces crimes qui s’enchaînent, le sang-froid et la mesure !

Et l’on ose dire qu’en dénonçant les scélératesses inouïes qui déshonorent la France et l’armée, nous sommes les ennemis de l’armée et de la France !

Et le député Bourrat, élu comme socialiste, demande au conseil général des Pyrénées-Orientales qu’on nous ferme la bouche et qu’on nous brutalise !

Honte et défi à ceux qui s’imaginent nous faire peur !

L’énormité du crime fait des indignations à sa mesure, et j’espère bien que nous trouverons dans notre conscience une force inépuisable de vérité, de droiture et de courage, comme les criminels qui font la loi à la France ont trouvé dans la lâcheté publique une force inépuisable de mensonge et de trahison.

Mais merci à ceux qui nous avertissent de contenir notre colère et de laisser parler, de laisser agir la seule force du vrai, mesurée et invincible !

Et quelle parole d’invective, quel cri de révolte peut