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Apporter à des hommes qui craignent de s’être trompés et qui ne veulent pas en convenir la preuve trompeuse qu’ils ont été dans le vrai, mettre le mensonge au service des prétentions d’infaillibilité n’est pas, après tout, d’une grande audace. Esterhazy et du Paty de Clam pouvaient, sans trop de péril, tenter ce premier coup.

Mais cela ne suffisait pas. Il ne suffisait pas non plus d’expédier au loin le colonel Picquart. Malgré tout, son enquête demeurait. Malgré tout, le petit bleu adressé par M. de Schwarzkoppen à Esterhazy, l’écriture d’Esterhazy identique à celle du bordereau, les détestables renseignements recueillis sur le traître, tout cela subsistait.

Il était donc urgent de discréditer l’enquête du colonel Picquart et le colonel Picquart lui-même. C’est à quoi, dès son départ, les conjurés vont s’employer en fabriquant d’autres pièces fausses.


IV

Le colonel Picquart quitte Paris vers le 15 novembre 1896, trois jours avant l’interpellation Castelin. Il part, pour une sorte d’exil mal dissimulé, laissant derrière lui, dans les bureaux de la guerre, des ennemis implacables, laissant son œuvre et son nom exposés à tous les assauts, à toutes les calomnies. Il n’a qu’un moyen de défense : ce sont les lettres qu’en septembre dernier, tout récemment, lui écrivait le général Gonse.

Ces lettres, il les confiera, quelques mois plus tard, à son ami Leblois ; s’il vient à périr au loin ou si l’on abuse de son absence forcée pour dénaturer ses intentions et ses actes, ce sera là, pour lui ou pour sa mémoire, une sauvegarde, une suprême réserve d’honneur.

À peine est-il parti que les bureaux de la guerre saisissent et décachètent sa correspondance. Et, dès les premiers jours, dès le 27 novembre 1896, les conjurés, manœuvrant au ministère de la guerre pour le compte