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elle est faussée par l’erreur et qu’elle ne consent pas elle-même à son redressement.

C’est ainsi que dès octobre et novembre 1896, à mesure que l’enquête du colonel Picquart se hâte vers une crise, il se noue entre Esterhazy et les bureaux de la guerre une agissante complicité.

Le faux cité par M. Cavaignac est le premier produit de cette collaboration.

Quelle a été la forme exacte de celle-ci ? Quel a été, entre Esterhazy et du Paty de Clam, le partage du travail ? Peut-être un jour le saurons-nous. Mais qu’Esterhazy, averti du danger par l’État-Major, ait pris l’initiative des faux, ou qu’au contraire les bureaux de la guerre en aient fait la commande directe, il importe peu.

Ce qui est sûr, c’est que le faux de novembre 1896 n’est possible que par la complicité des bureaux de la guerre.

Il fallait que le faussaire fût assuré d’avance qu’un faux aussi audacieux recevrait bon accueil rue Saint-Dominique et ne se heurterait pas à trop de défiance et d’esprit critique.

Il fallait aussi que le faussaire pût faire parvenir son œuvre par des voies inaccoutumées sans passer par la filière ordinaire du service des renseignements dirigé encore par le lieutenant-colonel Picquart. Il y avait là comme un petit coup d’État d’espionnage qui n’était possible que par le concours bienveillant des gens qui étaient dans la place.

Enfin il fallait que le faussaire eût l’assurance que le lieutenant-colonel Picquart ne serait pas saisi du document et qu’il ne pourrait pas en retrouver la source.

C’est en ce sens et dans ces limites que les bureaux de la guerre sont responsables de ce premier faux.

Je ne sais si jamais une information exacte et une analyse profonde permettront de discerner les responsabilités individuelles. Il y a, à coup sûr, dans le crime commun des bureaux bien des degrés et bien des nuances.