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date, dès octobre et novembre 1896, des charges relevées contre lui et des périls qu’il courait, c’est par les bureaux de la guerre.


II

Il y avait à l’État-Major des officiers compromis dans le procès Dreyfus : du Paty de Clam surtout avait conduit l’instruction avec une partialité et une légèreté criminelles ; l’affaire Dreyfus se rouvrant, il aurait eu des comptes terribles à rendre. De plus, le grand service qu’il croyait avoir rendu à la faction cléricale de l’armée tombait à rien si l’innocence de Dreyfus était reconnue ; les juifs pouvaient reprendre pied dans l’armée et dans l’État-Major ; et les officiers qui après avoir aidé à sa condamnation n’auraient pas su arrêter à temps l’œuvre de réhabilitation tentée par le colonel Picquart auraient paru à la Compagnie de Jésus de médiocres ouvriers.

Donc, dès lors, l’intérêt de ces hommes, j’entends l’intérêt le plus grossier et le plus vil, était de faire cause commune avec le véritable coupable, avec le véritable traître, Esterhazy. En le défendant, ils se défendaient.

Quand il y a une erreur judiciaire, une sorte de solidarité criminelle s’établit entre les juges qui ont frappé l’innocent et le véritable coupable qui a bénéficié de leur erreur : c’est l’intérêt commun du vrai coupable et des juges que l’erreur ne soit pas reconnue ; et quand les juges ne se sont pas haussés, par un effort de conscience, au-dessus de leur misérable amour-propre ou de leur bas intérêt, cette solidarité monstrueuse du juge et du criminel aboutit bientôt à une action commune.

Le vrai coupable et les juges se coalisent pour maintenir au bagne l’innocent : c’est l’extrémité la plus violente et, semble-t-il, la plus paradoxale, mais la plus logique aussi de l’institution de justice, quand une fois