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Et se trompant lui-même presque autant qu’il trompait les autres, égaré à la fois par les habitudes étroites de son esprit et les suggestions de son ambition illimitée, écartant les conseils et les lumières qui auraient pu le réveiller de son rêve, il a infligé au Parlement et à la France la pire humiliation.

Il a jeté au pays, comme une preuve décisive, le faux inepte que les plus grossiers des faussaires avaient fabriqué pour couvrir le plus misérable des traîtres.

Aussi ce n’est pas pour lui que nous avons résumé les preuves évidentes, brutales qui établissent pour tous que la pièce qu’il a invoquée est un faux. Nous ne lui demandons pas d’avouer son erreur : ce serait lui demander un suicide.

Mais nous pouvons le mettre au défi d’opposer ou de faire opposer une réponse à la démonstration reprise par moi après bien d’autres, qui réduit à rien, à moins que rien, au plus criminel et au plus stupide des faux, le document qu’il a cité.

Ce faux ? Il avait un double but : Il devait d’abord, en produisant enfin le nom de Dreyfus, en toutes lettres, décourager la campagne du colonel Picquart. Mais il devait aussi parer à un péril qu’Esterhazy sentait grandir.

Esterhazy craignait que les attachés militaires étrangers finissent par dire tout haut : « Nous n’avons jamais eu de relation avec Dreyfus. » Il craignait que le gouvernement français rapprochant ces dénégations de découvertes du colonel Picquart, ne fût troublé. Et voilà pourquoi, dans les lettres fabriquées pour Esterhazy, les attachés militaires se disaient : « Surtout, n’avouons jamais nos relations avec Dreyfus. »

Le coup était double. D’une part, Dreyfus était touché à fond. D’autre part, si les attachés militaires venaient à dire tout haut : « Nous n’avons jamais connu Dreyfus, « l’État-Major pouvait dire : « Très bien ; nous savons qu’ils ont convenu de ne pas avouer. »