Page:Jaurès - Les Preuves.djvu/234

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Or, il sait que si le Cavaignac de 1850 a été battu, c’est parce que le courant populaire, l’instinct de la masse a préféré l’autre. M. Cavaignac ne veut pas retomber dans cette faute et il cherche toujours, lui qui n’est peuple ni de cœur ni de pensée, quel est le courant populaire qu’il pourra utiliser pour son dessein.

Au moment du Panama, il crut que le succès d’un discours vertueux le porterait au pouvoir. En face de toutes ces hontes, il se gardait bien de conclure contre tout le régime social, contre le capitalisme, principe de corruption. Il n’a vu dans le scandale qu’un moyen de discréditer le personnel gouvernemental ancien, et de s’ouvrir la route. Vain espoir : c’est l’autre, l’heureux courtier du Havre, qui a cueilli le fruit ; et pendant les votes du Congrès, entre les deux tours de scrutin, M. Cavaignac, blême, chancelant, ivre d’une sorte d’ivresse blanche, se demandait s’il n’allait pas tenter le destin.

Non : il n’osa pas et son rêve se referma sur lui comme un cilice.

Aussi, quand à propos de l’affaire Dreyfus il crut entrevoir, dans les profondeurs obscures du peuple trompé, un courant de chauvinisme et de nationalisme violent, vite il s’empressa à la revanche.

Mais c’est sans audace et sans grandeur qu’il se livra à ce courant nouveau. Il n’osa pas crier qu’après tout, l’intérêt de la Patrie et de l’Armée commandait de passer outre, même à l’illégalité, même à l’erreur. Non ! il essaya de donner à ce mouvement aveugle je ne sais pas quelle apparence de correction et de certitude. Sachant bien que l’opinion, surexcitée par la presse, accueillerait sans critique tous les documents, toutes les assertions, il lui jeta le mensonge documentaire des aveux de Dreyfus. Sachant bien que la Chambre terrorisée par l’opinion n’oserait même pas penser, il lui apporta des pièces misérables, les unes inapplicables, les autres fausses.