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Cela est si sûr que M. Cavaignac voudrait faire l’oubli là-dessus. Et s’il y a faux dans la carte de visite qui accompagnait la lettre et qui l’appuyait, qui ne voit que l’ensemble est un faux et que la lettre même est fausse ?

Quand une lettre est authentiquée par une carte, et quand cette carte porte la marque d’un faux, c’est que des faussaires se sont mêlés de l’opération. La lettre est leur œuvre comme la carte.

III

Ainsi le faux éclate de toutes parts : et quand on songe que pour accabler un innocent, pour le tenir au bagne malgré l’évidence, la haute armée a accepté un faux fabriqué par le véritable traître, quand on pense que ce faux a été produit devant la Chambre par un ministre, et que la Chambre elle-même l’a contresigné, en vérité, on sent monter en soi du plus profond de la conscience et de la pensée une telle révolte que la vie morale semble suspendue dans le monde tant que justice n’aura pas été faite.

Ah ! certes, ils sont bien criminels les officiers comme du Paty de Clam qui ont machiné contre Dreyfus une instruction monstrueuse.

Il est bien criminel, ce général Mercier, qui a frappé Dreyfus, par derrière, de documents sans valeur que l’accusé n’a pu connaître, que les juges mêmes n’ont pu librement discuter.

Criminels encore, ces généraux et officiers d’État-Major qui, apprenant par le colonel Picquart l’innocence de Dreyfus, la trahison d’Esterhazy, ont frappé le colonel Picquart et lié partie avec Esterhazy, le traître.

Il en est parmi eux qui, de chute en chute, sont tombés jusqu’à fabriquer un faux imbécile pour charger Dreyfus, et les autres ont laissé faire ; ils ont accepté, les yeux fermés, les papiers ineptes qui, en accablant l’innocent, sauvaient l’orgueil de la haute armée.