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de plus, une absurdité de plus, un faux de plus ; l’absurdité, en se prolongeant et se renouvelant, ressemble à une gageure de folie. Comment notre État-Major a-t-il pu être dupe ? S’il l’a été, quelle profondeur de sottise ! S’il ne l’a pas été, quelle profondeur de scélératesse !


IV

Et non seulement il est manifeste qu’il y a un faux. Non seulement il est certain que ce faux, fait pour sauver les Esterhazy et les du Paty de Clam et les autres, ne peut procéder que d’eux : mais dans toutes les paroles et dans tous les procédés de ceux qui ont touché à ce papier frauduleux, il y a quelque chose de louche.

D’abord, ce n’est pas par les voies ordinaires, ce n’est pas par les agents accoutumés qu’il parvint au ministère.

Le colonel Picquart, violemment combattu dés ce moment par l’État-Major tout entier, va être envoyé en disgrâce : à la veille de l’interpellation Castelin, ses chefs ont hâte de se débarrasser de lui, pour écarter celui qui sait. Ils vont l’expédier, en des missions lointaines, en Tunisie, au désert, sur la route dangereuse où périt Morès. Mais enfin, il est encore au service des renseignements. On n’a osé ni le violenter ni le dessaisir ; c’est sous les prétextes les plus délicats, les plus flatteurs qu’on va l’envoyer et le maintenir au loin ; après son départ, le général Gonse continuera à lui témoigner, par lettres, la plus affable sympathie. Et il dira tendrement, devant la cour d’assises, qu’en confiant une mission lointaine au lieutenant-colonel Picquart, on avait voulu surtout lui rendre service à lui-même, l’arracher à l’idée fixe, à l’obsession de l’affaire Dreyfus.

Donc, dans les semaines qui précèdent l’interpellation Castelin, le colonel Picquart dirige encore son