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que leurs lettres étaient saisies, il était absurde qu’un seul de ces attachés songeât à écrire à l’autre. Mais quoi, c’est toute une correspondance qu’ils engagent, et sur le sujet le plus périlleux !

L’Italien écrit et, comme par miracle, il met en entier le nom de Dreyfus. Puis l’autre juge utile de répondre. Pourquoi ? Pour rassurer son correspondant. Il ne pouvait donc pas le rassurer de vive voix ?

Mais ce n’est pas tout. Il semble que ce soit fini, puisque les voilà d’accord. Pas du tout : l’État-Major a pensé que quand on se faisait ainsi apporter des documents, on n’en saurait trop prendre. Il ne faut pas qu’il reste le moindre doute ! Le nom de Dreyfus est en toutes lettres sur le premier billet, c’est bien ; le second billet acquiesce à la tactique, c’est excellent ; mais il faut encore que les attachés nous révèlent sans détour pourquoi ils adoptent cette aventureuse et impossible tactique de mensonge. Qu’à cela ne tienne : un de ces messieurs, sachant très bien d’ailleurs que sa lettre ira à nos bureaux de la guerre, prend son crayon, bleu ou rose, et il écrit un troisième papier.

N’admirez-vous pas la courtoisie de ces attachés militaires qui fournissent à notre État-Major embarrassé toutes les pièces dont il a besoin ? Et n’admirez-vous pas aussi la subtilité de nos agents ? Pas de lacune dans cette correspondance. Ils ne laissent pas tomber le moindre morceau.

Le premier attaché écrit ; et il a la délicatesse d’étaler dans sa lettre le nom de Dreyfus. Nos agents saisissent cette première lettre. Le second attaché répond. Nos agents saisissent la réponse.

Le premier attaché reprend de plus belle, et n’ayant plus à convertir son correspondant qui a acquiescé, il répand en une troisième lettre, pour l’instruction future de M. Cavaignac, le fond de son cœur. Nos agents ont cette troisième lettre.

Par malheur, chaque lettre est une invraisemblance