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« Oui ou non, une pièce pouvant former ou fortifier la conviction des juges, a-t-elle été communiquée aux juges sans l’être à l’accusé ? Oui ou non ? »

Et j’ai, plusieurs minutes, attendu la réponse. M. Méline, hésitant, troublé, a fini par balbutier : « On vous répondra ailleurs. »

Mais non ! C’est à la Chambre même, c’est devant le pays qu’on aurait dû me répondre ! Le Parlement n’est pas chargé d’appliquer la loi ; mais son premier devoir est de veiller, par l’intermédiaire du gouvernement responsable, à l’observation de la loi, au maintien des garanties légales sans lesquelles un procès n’est qu’un guet-apens.

Et lorsqu’un Parlement abdique ce devoir essentiel, lorsque, par peur de la haute armée qui a criminellement violé la loi, il n’ose même pas se renseigner, lorsqu’il permet au gouvernement d’éluder par une misérable échappatoire une question précise, il n’y a plus de liberté certaine dans un pays : ce qui nous en reste nous est laissé par pure tolérance.


III

Mais s’il était faux que la loi eût été violée, s’il était faux que les juges eussent condamné sur une pièce que l’accusé ne connaissait pas, qu’est ce qui empêchait M. Méline de se lever et de dire : Non !

D’un seul mot, il calmait l’inquiétude des consciences droites. Ce mot, il ne l’a pas dit, et son silence est un aveu décisif.

Du moins, cette réponse que le gouvernement me refusait à la Chambre, l’a-t-on donnée ailleurs au pays ?

Ailleurs ? ce pouvait être la cour d’assises. Or, à la cour d’assises, le président Delegorgue n’avait qu’un souci : empêcher que la question ne fût posée.

C’est par une sorte de ruse que Me Demange a pu faire allusion au récit que lui avait fait M. Salles.