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jours ; il leur est facile, s’ils ont à régler une question délicate, de la régler de vive voix ; et ils vont choisir le moment où l’affaire Dreyfus se réveille pour confier au papier un plan de mensonge contre leur propre gouvernement qui peut les perdre sans retour ?

Observez que, dans les deux billets d’avril et de mai 1894, ceux qui contiennent l’initiale D…, si les deux attachés s’écrivent, c’est parce que, à ce moment-là, ils ne peuvent faire autrement. Dans le premier billet, l’un d’eux écrit que le médecin l’a consigné dans son appartement. Dans le second, il écrit qu’il regrette de n’avoir pas rencontré l’autre et qu’il est obligé de quitter Paris.

Ce n’est donc que par l’effet de circonstances exceptionnelles et d’empêchements précis qu’ils ont commis l’imprudence d’écrire.

Et pourtant à ce moment-là rien n’avait pu encore les mettre en éveil et surexciter leur défiance ; Dreyfus n’avait pas été arrêté ; ils ne pouvaient pas savoir que leur correspondance était saisie. Ils pouvaient donc, de loin en loin, se laisser aller à une imprudence, et encore avaient-ils le soin de ne désigner que par une initiale, et sans doute l’initiale d’un faux nom, l’individu dont ils parlaient.

Au contraire, en octobre et novembre 1896, peu avant l’interpellation Castelin, la prudence des deux attachés militaires doit être au plus haut. C’est quelques semaines avant, le 15 septembre 1896, que l’Éclair a publié le texte approximatif du bordereau. M. de Schwarzkoppen a reconnu sur le bordereau la mention des pièces qu’il avait, en effet, reçues d’Esterhazy. Il sait donc qu’un bordereau qui lui était destiné a été dérobé. De plus l’Éclair publie, à la même date, le contenu de la lettre : « Ce canaille de D… » adressée, dit-il, par l’attaché allemand de Schwarzkoppen à l’attaché italien Panizzardi.

Les deux attachés savent donc, de la façon la plus précise, que leur correspondance a été interceptée par les