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pour solliciter un raccommodement, cela peut se comprendre. Mais qu’un officier d’état-major que la police reconnaîtrait aisément se compromette avec cette étourderie, et qu’il coure de légation en légation pour de basses disputes et d’humiliants marchandages, cela est inadmissible.

Quoi ! c’est ce même Dreyfus que l’acte d’accusation représente comme la prudence et la prévoyance même ! C’est ce même Dreyfus qui déguise son écriture par les complications inouïes que lui attribue Bertillon et qui ne garde chez lui aucune pièce compromettante ! C’est ce même Dreyfus dont la police n’a pu se rappeler aucune démarche suspecte auprès des légations étrangères ! C’est ce même homme qui aurait, dans l’espace d’un mois, franchi trois fois au moins la porte des légations avec de gros paquets de documents sous le bras ! C’est cet homme orgueilleux et riche qui aurait été mendier auprès des attachés une rentrée en grâce, après des scènes bassement violentes ! Cela est criant d’invraisemblance et d’absurdité.

Mais qui pourra penser un seul instant que si Dreyfus se présentait ainsi aux légations allemande et italienne, il s’y présentait sous son vrai nom d’officier français ? Comment ! Dreyfus va voir couramment, fréquemment M. de Schwarzkoppen et M. Panizzardi. Il y va en sortant de son bureau de la rue Saint-Dominique et quand il veut pénétrer dans le cabinet de M. de Schwarzkoppen ou de M. Panizzardi, il se fait annoncer sous son vrai nom ? Il fait demander par l’huissier : Peut-on recevoir M. Dreyfus ?

C’est de la folie. Évidemment, Dreyfus se serait fait annoncer sous un faux nom convenu entre les attachés et lui. Et ensuite, c’est sous ce faux nom que les attachés militaires l’auraient désigné entre eux. Ce n’est donc pas par l’initiale D qu’il pourrait leur être désigné. Et bien loin que cette initiale le désigne, elle l’exclut.