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Depuis deux ans, depuis le 15 septembre 1896, depuis que cette révélation de l’Éclair a jeté l’angoisse dans toutes les consciences honnêtes, personne, au ministère de la guerre, n’a osé nier cette monstrueuse violation du droit.

Bien mieux, les juges du Conseil de guerre l’ont eux mêmes avouée. Un ancien magistrat, M. Salles, causait avec l’un d’eux ; il lui disait :

« Expliquez moi donc comment l’avocat de Dreyfus, Me Demange, que je tiens pour un honnête homme et un galant homme, persiste à dire deux ans après le procès que Dreyfus est innocent et qu’il ne s’explique pas sa condamnation.

― Mais c’est bien simple, lui répondit le juge du Conseil de guerre, sans se douter de l’énormité de sa réponse : c’est que nous avons jugé sur des pièces que ni Dreyfus ni Me Demange n’ont vues. »

Ces jours ci, M. Salles, effrayé par les attaques des journaux de l’État-Major, a écrit que jamais il n’a cru à l’innocence de Dreyfus, ou approuvé l’acte de Zola. Mais il ne s’agit point de cela. Son opinion sur le fond du procès n’a jamais été en cause. Ce qui a été dit, ce qu’il ne dément pas, ce qu’il ne peut pas démentir, c’est qu’il a reçu d’un juge la confidence de l’illégalité.

Dans un pays qui aurait quelque souci de la liberté et du droit, les pouvoirs publics se seraient hâtés de faire la lumière sur cet attentat. Chez nous, dans la France abaissée par la réaction militaire et cléricale, les gouvernements ont fait le silence ; les magistrats ont bâillonné les indiscrets.

Le général Billot, ministre de la guerre, donnant aux mots je ne sais quel sens hypocrite, déclarait à la tribune que Dreyfus avait été « justement et légalement condamné » ; mais quand on pressait les gouvernants de s’expliquer sur cette communication irrégulière de la pièce secrète, pas de réponse.

À la tribune de la Chambre, le 24 janvier 1898, j’ai posé nettement la question :