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convention habituellement employé par l’attaché militaire.

Comment donc ces attachés militaires, qui prennent eux-mêmes la précaution de changer leur nom, de se démasquer, ne prendraient-ils pas la même précaution pour leurs agents français d’espionnage ?

Donc, il est infiniment probable, on peut même dire, il est moralement certain que l’initiale D… désigne un agent dont le vrai nom ne commence pas par un D.


II

Observez, je vous prie, qu’en ce qui touche Dreyfus, cette certitude morale devient une certitude absolue. Personne n’a jamais pu comprendre pourquoi il aurait trahi. Riche, vivant d’une vie régulière, ayant devant lui un avenir militaire éclatant, très fier d’appartenir lui, fils de juif, à l’État-Major de l’armée française, élevé, comme le rappelle M. Michel Bréal, dans un article d’une sévère beauté, parmi les juifs alsaciens, qui aimaient dans la France la nation émancipatrice de leur race, sachant qu’en Allemagne les hauts grades de l’armée sont interdits aux juifs, tandis qu’ils leur étaient ouverts en France, Dreyfus n’avait aucune raison de trahir.

A moins de supposer l’inexplicable, le goût du crime pour le crime, de la honte pour la honte et du danger pour le danger, il est inadmissible qu’il soit devenu un traître. Mais en tout cas, il n’ignorait pas, il ne pouvait pas ignorer les périls de cet abominable rôle. Il savait qu’à côté de lui fonctionnait le service des renseignements. Il ne pouvait pas ignorer que la correspondance des attachés militaires étrangers était l’objet d’une surveillance particulière, et que la moindre imprudence pouvait le perdre.

Comment dès lors n’eût-il pas demandé lui-même à