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porte des documents, et vous ne songez pas une minute à mettre un agent sur les pas de Dreyfus ! Bien mieux, vous ne concevez pas contre lui le moindre soupçon !

Et vous attendez, pour le mettre en cause, la découverte du bordereau !

Non, d’après son discours, M. Cavaignac ne semble même pas s’être posé cette question ; il ne semble pas qu’il l’ait posée aux bureaux de la guerre, et pourtant, je le répète, cette difficulté est décisive. Si les présomptions étaient, comme le dit M. Cavaignac, concordantes, si elles pesaient sur l’esprit d’un poids décisif, et si les deux lettres avec l’initiale D… paraissaient sérieusement applicables à Dreyfus, pourquoi n’a-t-on pas organisé contre lui la moindre surveillance ? Pourquoi même n’a-t-on pas formé contre lui le plus léger soupçon ? Pourquoi l’acte d’accusation affirme-t-il que, dans l’enquête sur le bordereau, on n’était guidé par aucun renseignement antérieur, par aucune prévention ? Pourquoi ? Que M. Cavaignac réponde.

Il a fallu qu’on découvrît le bordereau, il a fallu qu’on l’imputât à Dreyfus, pour que l’on songeât aussi que les prétendues « présomptions concordantes » et les lettres à l’initiale D… pouvaient être utilisées contre Dreyfus. Supprimez le bordereau, vous supprimez en même temps et les présomptions concordantes et l’attribution à Dreyfus des pièces D…. C’est le bordereau seul, imputé à Dreyfus, qui a communiqué par contagion un semblant de valeur probante contre lui à d’autres pièces. C’est par le bordereau seul et appuyées sur lui qu’elles ont pu valoir contre Dreyfus. Or, comme le bordereau n’est pas de lui, toutes les autres pièces tombent avec le bordereau.


II

Ah ! je sais bien qu’il est difficile au cerveau humain de se débarrasser d’impression déjà anciennes. Dreyfus a été condamné et on s’est habitué à le tenir pour un