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fondamentale du droit ; c’est la précaution nécessaire contre la violence et l’erreur.

Or, Dreyfus, cela est certain, n’a pas connu les pièces qui, au dernier moment, ont formé contre lui la conviction des juges.

Le journal l’Éclair a été, dès l’origine de cette affaire, l’organe de l’État-Major, le journal des bureaux de la guerre. Or, deux ans après le procès, le 15 septembre 1896, l’Éclair disait en substance que le ministère de la guerre avait « tort de laisser le doute se glisser dans la conscience publique. Il suffirait, pour dissiper tous les doutes, de dire toute la vérité.

« La vérité était que Dreyfus n’avait pas été condamné seulement pour le bordereau. Une lettre adressée par un attaché militaire allemand à un attaché italien avait été saisie et photographiée ; et cette lettre contenait ces mots : « Cette canaille de Dreyfus devient bien exigeant. »

« Cette lettre n’avait été montrée ni à Dreyfus ni à son défenseur ; elle n’avait pas été soumise aux juges pendant le procès légal. Mais quand ceux ci furent réunis dans la chambre du Conseil, hors de la présence de l’accusé, cette pièce leur fut communiquée ; et elle décida la condamnation. »

Voilà le récit de l’Éclair. On sait aujourd’hui que le journal de l’État-Major mentait effrontément en disant que la lettre saisie contenait le nom de Dreyfus. Elle ne portait qu’une initiale. Elle disait : « Ce canaille de D… » comme on peut s’en convaincre par la lecture même qu’en a faite M. Cavaignac à la tribune de la Chambre, le 7 juillet dernier.

II

Mais ce que je retiens pour le moment, c’est que l’Éclair, dévoué aux intérêts de l’État Major, a pu proclamer que la conviction des juges avait été faite contre Dreyfus par une pièce qui n’a été soumise ni à l’accusé ni au défenseur, et qu’aucun démenti n’est intervenu.