Page:Jaurès - Les Preuves.djvu/196

Cette page a été validée par deux contributeurs.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

Est-il un argument plus fort en faveur de la revision que le système de M. Cavaignac ? Il n’ose pas parler du bordereau, seule base légale de l’accusation ; il sait trop bien qu’on ne peut plus l’attribuer à Dreyfus. Il s’appuie sur deux pièces, qui n’ont pas été communiquées à l’accusé, et c’est une illégalité, c’est une violence abominable. Mais ces deux pièces mêmes qui ont fait illégalement la conviction des juges, n’ont pas, ne peuvent pas avoir, selon lui, une valeur de certitude absolue.

Ainsi, le procès Dreyfus se compose de deux parties, une partie légale qui est nulle, puisqu’elle repose sur le bordereau qui ne peut plus être attribué à Dreyfus, et une partie illégale qui est doublement nulle, d’abord parce qu’elle est illégale, ensuite parce que les documents mêmes qui y sont servis n’ont pas, de l’aveu même de M. Cavaignac, une valeur probante tout à fait décisive.

Ce procès, ainsi suspendu à la fois dans l’illégalité et dans le vide, ne trouve sa justification et sa base que deux ans après, dans une pièce trouvée après coup et qui, elle, apporterait enfin, assure-t-on, la certitude qui faisait défaut. Mais, une fois encore, qu’est-ce, je vous prie, que cette condamnation qui n’est justifiée par un document décisif (à le supposer authentique) que deux ans après ?

Si la troisième pièce, celle où Dreyfus est nommé en toutes lettres, n’avait pas été écrite ou trouvée, M. Cavaignac lui-même serait obligé d’avouer que « le doute peut subsister dans les esprits » sur la culpabilité de Dreyfus. Comment n’a-t-il pas été troublé lui-même par ce paradoxe de justice ?


III

Je l’avoue : la méthode générale d’où procèdent ses affirmations me paraît étrange. Il dit que depuis six ans le service des renseignements au ministère de la guerre a saisi, entre l’attaché militaire allemand et l’attaché militaire italien, « mille pièces de correspondances », c’est-