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rappelez l’accusé ; jugez-le de nouveau en lui soumettant les pièces que vous alléguez contre lui. Jusque-là, les pièces « secrètes » ne sont que des pièces de contrebande.

Et un pays qui aurait quelque souci de la justice, un pays où les citoyens ne voudraient pas se laisser étrangler sans jugement par les Conseils de guerre, ne tolèrerait pas une minute qu’on osât invoquer contre un homme, dans les journaux et à la tribune de la Chambre, des documents qu’il n’a pas été admis à connaître et à discuter.

Mais quoi ! et voici une aggravation singulière. Les juges se sont trompés, grossièrement trompés, dans l’attribution de la seule pièce qui ait été régulièrement introduite au procès, et on nous demande de les croire infaillibles dans l’examen des pièces qui n’ont pas été soumises à un débat contradictoire !

Ils ont eu tout le loisir d’examiner le bordereau ; ils l’ont eu en main pendant plusieurs jours ; ils ont pu, tout à leur aise, étudier les rapports des experts, écouter et méditer leurs dépositions ; ils ont pu, sur le bordereau, écouter les explications de l’accusé et de son défenseur ; et pourtant, par une fatalité à jamais déplorable, ils se sont trompés : ils ont attribué à Dreyfus un bordereau qui était d’un autre ; et lorsque, malgré la garantie des formes légales, ils ont commis la plus triste erreur, on veut que nous leur fassions crédit quand ils décident en dehors des formes légales ?

Dans leur examen hâtif, irrégulier et non contradictoire des pièces secrètes qui leur ont été apporté in extremis et que Dreyfus n’a jamais vues, ils étaient beaucoup plus exposés à se tromper que dans l’examen régulier, tranquille et contradictoire du bordereau. S’étant trompés même quand ils prenaient contre l’erreur, toutes les précautions légales, de quel droit, là où ils n’ont pas pris ces précautions contre l’erreur, prétendraient-ils à l’infaillibilité ?