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L’État-Major ne veut pas voir. Il veut quand même innocenter Esterhazy coupable pour n’être pas obligé de libérer Dreyfus innocent.

Esterhazy est jugé à huis clos par des juges qui se font ses complices.

Pourtant, la force de la vérité est telle, la lumière nouvelle est si invincible que les experts les plus complaisants sont obligés, comme malgré eux, de reconnaître dans le bordereau l’écriture d’Esterhazy. Mais ils inventent pour le sauver l’hypothèse d’un décalque. Hypothèse absurde !

Hypothèse moralement et matériellement impossible ! Moralement, puisque Dreyfus n’aurait pu pratiquer ce calque que pour accuser Esterhazy au procès, et il ne l’a pas fait.

Matériellement, puisque l’examen du bordereau révèle une écriture courante. D’ailleurs, c’est à huis clos, c’est dans l’ombre, c’est loin du contrôle de la raison publique et de la science que les experts du procès Esterhazy combinent l’hypothèse qui doit, un moment, sauver le traître.

C’est en vase clos qu’ils mijotent leur petite cuisine officielle, qu’ils n’osent pas servir au public.

N’importe ! Une part de vérité est acquise : c’est que l’écriture du bordereau est celle d’Esterhazy.

Et voici qu’à la troisième étape, avec les dépositions des hommes savants et indépendants que la révolte de leur conscience mène au procès Zola, c’est la vérité complète qui se dévoile et s’affirme. Le bordereau est l’œuvre d’Esterhazy.

Le bordereau sur lequel a été condamné Dreyfus est, jusqu’à l’évidence, l’œuvre du louche uhlan. Cette fois, il n’y a plus de réticences, il n’y a plus de mystère, il n’y a plus de mensonge. Ni huis clos, ni expertises dociles, toute la vérité et rien que la vérité. Et elle est si éclatante et si impérieuse que M. Cavaignac lui-même n’ose plus, quand il requiert contre Dreyfus, lui attribuer le bordereau