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M. Giry. ― Messieurs, la ressemblance qui existe entre l’écriture de la pièce qu’on appelle le bordereau et l’écriture du commandant Esterhazy a frappé, dès le premier aspect, tous ceux qui ont eu l’occasion de voir ces deux écritures

M. le Président. ― Les fac-similés seulement ?

M. Giry. ― Je dirai sur quels documents je me suis appuyé. Mais, ce que je puis ajouter, c’est que cette ressemblance n’est pas une de ces ressemblances superficielles, banales, qui s’évanouissent après un moment d’examen attentif, comme l’a été, par exemple, la ressemblance de l’écriture de l’ex-capitaine Dreyfus et de l’écriture du bordereau. C’est une ressemblance qui est confirmée par l’analyse et les comparaisons les plus minutieuses… À l’école des Chartes je suis plus spécialement chargé d’enseigner la diplomatique, c’est-à-dire l’application de la critique aux documents d’archives.

L’étude et la comparaison des écritures ont naturellement un rôle important dans cette branche de l’érudition. Nous apprenons à nos élèves à déterminer l’âge, l’attribution des documents, leur provenance, à discerner les documents authentiques, à discerner les documents falsifiés, interpolés, des documents sincères…

Il n’y a pas ― M. Couard l’a dit et c’est encore une des grandes vérités qu’il a exprimées ― à l’École des Chartes de cours pour l’expertise en écritures, cela est bien entendu, cela est bien évident ; nous n’apprenons pas à nos élèves comment il faut établir le prétexte d’un rapport d’expertise. Nous ne leur disons point quand il faut se taire ou parler devant un tribunal… ce n’est pas matière scientifique.

Nous leur enseignons quelque chose de supérieur et de plus utile, nous leur enseignons la méthode, les procédés d’investigation et de critique ; nous leur enseignons les moyens de se prémunir contre l’erreur, et je crois que cela peut avoir sa place dans une expertise en écriture…

Lorsque M. Zola m’a écrit pour me prier d’examiner les documents qui devaient être versés dans le débat, j’ai hésité un moment à accepter la charge de faire cet examen…. Mais en y réfléchissant, en réfléchissant à la gravité des questions de justice et de légalité qui dominent tout ce débat, j’ai pensé qu’il était de mon devoir de sortir de ma réserve habituelle pour faire l’examen qu’on me demandait, afin d’essayer