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chaque instant des modèles différents et en transportant son calque d’un mot sur un autre ?

Il y a, dans le bordereau, des mots qu’on n’a pas tous les jours sous la main pour les calquer, par exemple le mot : « Madagascar », le mot « hydraulique ». On peut bien avoir sous la main un mot comme je, comme vous, mais on n’a pas sous la main à point pour savoir où le trouver le mot Madagascar ou le mot hydraulique juste au moment où on en a besoin.

Pour cela il faudrait avoir toute une collection de documents énormes, avec un répertoire pour trouver le mot dont on a besoin. Il faudrait donc, pour exécuter par calque le bordereau, composer le mot Madagascar à l’aide du mot ma, puis avec le commencement du mot dame, le commencement d’un troisième mot.

Cela aurait coûté cinq ou six opérations différentes pour un mot unique.

Ce travail est absolument hors de proportion avec les besoins d’un faussaire qui travaille ainsi. Il serait beaucoup plus court de prendre tout autre moyen de falsification : une écriture dissimulée, des caractères d’impression découpés, qu’on applique, qu’on colle, ou même, si on emprunte l’écriture d’autrui, le procédé plus simple de découper des portions d’écritures et de les coller au lieu de les décalquer.

C’est là une hypothèse qui n’est défendable que si on avait des raisons particulières de trouver qu’il y a un calque.

J’ajoute que je ne crois pas, pour ma part, à l’argument que j’ai vu traîner dans les journaux qui soutenaient que le bordereau était de Dreyfus et d’Esterhazy ; ils prétendaient qu’il y a des portions de mots qui se répètent, parce qu’ils ont été calqués sur la même matrice, qu’il y a deux fois la même syllabe.

Quand nous retrouvons plusieurs fois la même syllabe, il n’y a jamais superposition absolue. Il y a des syllabes qui se répètent un grand nombre de fois ; par exemple, dans le mot quelque, il y a deux fois la syllabe que, et cette syllabe revient plusieurs fois ; le mot note revient également plusieurs fois. Eh bien, j’ai étudié avec soin toutes ces syllabes et je n’ai jamais vu que deux portions de mots fussent rigoureusement pareilles et qu’on pût se vanter de les superposer. Je crois donc que toutes les hypothèses tirées d’un calque se heurtent à des difficultés matérielles et absolues.