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D’habitude, quand pour écrire les doubles S, on emploie un grand S et un petit, c’est le grand S qui est devant et le petit S derrière.

Les spécialistes ont compulsé des centaines et des centaines d’écritures, sans trouver l’ordre contraire.

Or, par une singularité extraordinaire, dans le bordereau, c’est le petit S qui vient en premier. C’était donc là un trait tout à fait caractéristique.

Vite, on regarde l’écriture de Dreyfus. Lui, il écrit les doubles S selon la méthode commune, le grand S devant.

Voilà donc une particularité tout à fait curieuse, tout à fait rare de l’écriture du bordereau qui ne se retrouve pas dans l’écriture de Dreyfus.

Croyez-vous que nos enquêteurs et experts se troublent pour si peu ? Le génie de Bertillon veillait sur eux. Immédiatement ils disent : « Si Dreyfus a renversé dans le bordereau l’ordre des S, c’est pour dérouter la justice et pour opposer à tout assaut ce moyen de défense. »

Et si l’on s’en souvient, ce double S renversé devient dans le plan militaire du délirant Bertillon une tour, la tour des deux S, du haut de laquelle le traître attend orgueilleusement l’assaillant.

O folie meurtrière !

Mais plus tard, quand on compare l’écriture d’Esterhazy à celle du bordereau, non seulement on retrouve dans l’écriture d’Esterhazy toutes les particularités du bordereau, mais on y trouve encore le même ordre renversé des S.

Oui, dans l’écriture d’Esterhazy, comme dans le bordereau, c’est le petit S qui vient le premier.

Hélas ! pendant ce temps, Dreyfus est au bagne, et de la tour du double S il est passé sans autre cérémonie dans une enceinte fortifiée.